En bref : 10 jours de formation initiale à Grenoble à l'IPAG, puis 6 mois à Santiago du Chili, à l'ESO, ponctués de séjours au VLTI à Cerro Paranal. Le tout à propos de "l'analyse de données interférométriques du VLTI et la simulation numérique des propriétés des disques protoplanétaires".
mercredi 15 août 2012
A A A A - jour 3
En cette radieuse matinée du 5 août 2012 (enfin, pour faire pas radieux en Atacama, c'est 2 jours par an...), j'ai décidé de ne pas faire le touriste japonais mais de plutôt découvrir les environs par moi-même. Pour cela, rien de tel que de louer un vélo et d'aller parcourir les routes des environs. Quelques uns des joyeux lurons de la veille avaient émis le souhait de faire cette balade avec moi, mais le matin un mot de Paco m'a informé qu'ils laissaient tomber. Gueule de bois quand tu nous tiens !
Je me suis donc retrouvé tout seul à prendre le départ, dûment équipé en eau, provisions et crème solaire. J'ai été agréablement surpris par la qualité de la bécane de loc (la même que la mienne à Santiago mais en mieux).
En route ! Direction le nord, en longeant la vallée du Rio San Pedro. La route devient vite chemin, un chemin probablement tout à fait praticable en 4x4, mais qui m'annonce très vite la principale difficulté de la journée : l'ensablement. Tout au long de la balade, les chemins sont recouverts de façon intermittente d'une couche de sable suffisamment mince pour être praticable, mais assez épaisse pour que les pneus s'enfoncent notablement et rendent la progression fatigante. Du coup, tout le trajet devient un exercice de pilotage et un dilemme cornélien : passer par les zones lisses mais s'ensabler, ou ne pas s'ensabler mais se casser les reins sur les zones rocheuses ?
Première destination touristique atteinte : la Pukara de Quitor (forteresse de Quitor en atacamène). Il s'agit des ruines d'un village fortifié à flanc de colline, datant de l'époque précolombienne, et même pré-inca, qui fut le témoin des combats avec les Espagnols. Après deux expéditions d'une centaine de personne qui furent défaites à chaque fois lors de l'assaut de la forteresse (les armes à feu ne font pas tout contre le nombre et les fortifications), les Espagnols revinrent en force, conquirent le fort et ornèrent ses murs avec les têtes des vaincus. Aujourd'hui, ces décorations macabres n'entourent plus le site, connu depuis cet épisode comme "le village des têtes", en revanche la forteresse vaut toujours le coup d'œil. À cause de la taille et de la complexité du complexe, qui associe lignes de fortifications et zones d'habitation, et à cause (encore une fois !) de la géologie du coin. D'ailleurs, géologie et histoire se mêlent en un spectacle unique, car la forteresse a bien sûr été construite avec les pierres de la région, si bien que sur la colline rocheuse, ruines et éboulis se côtoient dans un entrelacs de pierres rouges, sans qu'il ne soit toujours possible de déterminer qu'est-ce qui est l'œuvre de l'Homme ou de la Nature.
Pukara de Quitor, village fortifié à flanc de colline
Vue de l'oasis de San Pedro depuis une ligne de fortifications
Le village n'est fortifié que dans une direction, car sa position
stratégique le protège sur trois flancs par ce genre d'à-pics
Le Rio San Pedro passe au pied de la forteresse
Portail de pierre qui ne mène à rien, mais
date aussi de l'époque de la forteresse. Paraît-il.
La gorge escarpée qui protège le deuxième flanc du village
Un envahisseur européen dans une maison atacamène
Ruines et éboulis se mêlent...
Le Licancabur vu depuis le pied de Pukara de Quitor
Vue de Pukara de Quitor depuis le chemin menant au point de vue sur la colline opposée
Panorama depuis ledit point de vue
La gorge surréaliste qui protège le troisième flanc du village.
Pas infranchissable (je l'ai franchie pour passer d'une colline à l'autre), mais c'est acrobatique !
Je pensais pouvoir descendre jusqu'à la porte de pierre par ici. Bad idea...
Je me sens petit !
Un petit piaf cavernicole
Le portail mène à... ça. Un mur de pierre infranchissable
Après avoir passé plus d'une heure à visiter Pukara de Quitor, je reprends la route le long du Rio San Pedro. Enfin, "le long" serait plutôt "en zigzaguant autour", puisque j'ai dû traverser la rivière au moins cinq ou sept fois en quelques kilomètres. Bien sûr, il n'y avait un pont qu'à la première traversée, le reste a dû se faire à gué, en portant le vélo avec de l'eau jusqu'au genoux. En plus de ces gués, j'ai aussi dû faire face à des ensablements de plus en plus fréquents. Et comme si cette difficulté ne suffisait pas, la poussière et le sable omniprésents ont vite fait de gripper toutes les parties mécaniques du vélo (pourtant bien entretenu, et bien lubrifié au moment du départ), rendant le pédalage affreusement difficile même sur un sol ferme. Tout cela me faisait penser qu'il valait peut-être mieux que les autres se soient désistés, comme ça malgré la galère au moins je n'étais responsable que de moi-même. Qu'est-ce que j'aurais pris après avoir inconsciemment annoncé une balade sympa et bouclable en 3 heures maxi !
Après quelques kilomètres et quelques gués, j'ai dépassé l'embranchement vers les montagnes que j'allais prendre pour rentrer, et j'ai continué jusqu'à un autre monument naturel : la Quebrada de Chulacao (ravin de Chulacao), aussi appelée Garganta del Diablo (je traduis ?).
Vue de l'entrée de la Gorge du Diable depuis le bord de la rivière
La Garganta del Diablo porte bien son nom. Si vous en avez assez de m'entendre dire que "la géologie était incroyable", passez votre chemin. Parce que dans ce ravin, ça ne parle que géologie. Arches de pierres, falaises, surplombs, étranglements, goulets, tunnels... Une chose m'intrigue aussi : la nature de la roche dans ce ravin. Par endroits, cela ressemblait vraiment à de la roche d'origine sablonneuse (grès ?), parfois à de la roche argileuse (lœss ?), parfois plus à de la boue séchée, se détachant sans effort par gros morceaux, parfois encore cette roche argileuse était parcourue de filons blanchâtres formant un réseau de pierre dure tel une toile d'araignée... Si un géologue me lit, ces lumières seront les bienvenues !
Le Grand Canyon en plus petit... Et en mieux !
Halte, on ne passe pas ce mur ! - Mais si, on passe, regardez mon vélo.
Quand je vous dis que géologiquement c'est un truc de malade...
Portage de vélo obligatoire !
Mon but n'étant pas de traverser toute la gorge, qui ne débouche sur la vallée qu'après un long moment (et qui, en plus, devient plus large, plus sablonneuse et moins intéressante après le premier kilomètre), j'ai rebroussé chemin pour retourner à la rivière et comme dit précédemment, prendre la direction des montagnes de la Cordillère du Sel.
Et j'ai même un bonus ! L'appareil photo fixé au Gorillapod lui-même entortillé tant bien que mal autour des sangles du sac à dos fournissent la GoPro du pauvre, voici donc en exclusivité la fin de ma descente à travers la Quebrada de Chulacao ! (ça devient intéressant au bout de deux minutes)
J'ai ensuite dû retraverser la rivière une ou trois fois pour rejoindre la route qui montait en direction du tunnel de los Altos de Catarpe, tunnel désaffecté qui permet de traverser la cordillère pour atteindre le désert. En longeant la crête, je devais atteindre les célèbres dunes de la Valle de la Muerte et finalement rejoindre San Pedro.
Une fois deux fois, ça va, mais après un moment, c'est marre...
La montée vers le tunnel, relativement raide, a été franchement éprouvante. Cela dit, je peux me chercher des excuses : ensablement, chaîne grippée, soleil de plomb et air sec, plus peut-être l'altitude. Ou alors je n'étais juste pas en forme !
Panorama de la vallée du Rio San Pedro depuis la Cordillère du Sel
J'ai finalement atteint ce tunnel, et, après avoir repris mon souffle à l'ombre de la falaise, je l'ai traversé pour continuer l'aventure de l'autre côté. On m'avait averti que ce tunnel désaffecté était potentiellement dangereux à cause de possibles éboulements. Je m'étais dis : "bah, s'il y a des cailloux qui tombent du plafond, au pire le plafond n'est pas très haut, et puis j'ai un casque". J'ai compris la légèreté de mon propos en arrivant à la moitié du tunnel : un bloc de pierre d'environ deux mètres cubes (donc de 4 à 6 tonnes selon la nature de la roche) accompagné d'un éboulement de pierres plus petites bouchait quasiment le passage, et avait laissé un véritable gouffre dans le plafond. Face à 6 tonnes de roches qui tombent, un casque ne suffit pas. Réflexion faite, ne nous attardons pas sous cette voûte !
Tunel de los Altos de Catarpe. Si vous avez de bons yeux,
on voit le bloc rocheux qui l'obstrue à moitié.
De l'autre côté, le paysage était radicalement différent. Finis les reliefs et la relative verdure bordant la rivière, place au désert. Plat, plat, plat ; vide, vide, vide ; sec, sec, sec.
Je devais trouver la route de la crête, j'ai donc suivi les traces de pneus visibles dans le sable. Un instant d'hésitation : on dirait que quelque chose tourne à gauche, longeant directement la crête, mais la majorité des traces va tout droit, que faire ? Je prends tout droit. Fatale erreur. Peut-être pas complètement fatale, mais presque.
De ce côté, c'est moins vert...
J'ai descendu l'oued que longeaient les diverse traces de pneus, pour finalement arriver dans le désert proprement dit. Rien à perte de vue, mais les traces de pneus tournent vers le Sud, ce qui semble être la bonne direction, et où je sais que dans tous les cas je finirai par couper la route Calama - San Pedro. La sensation de rouler totalement seul dans un tel endroit est saisissante, et franchement légèrement angoissante.
Syndrome "perdu tout seul dans le désert".
En fait, au moment de prendre la photo je ne savais pas encore que j'étais perdu !
Désert (n.m.) : endroit où il n'y a rien ni personne à 360°
Après quelques kilomètres à naviguer entre bancs de sables et cailloux, j'ai aperçu l'entrée d'une gorge dans les montagnes à ma gauche, donc en direction de San Pedro. La route de Calama était déjà visible, et des traces remontaient vers cette vallée. Bingo ! J'avais donc trouvé la Valle de la Muerte. Ou pas. Après être difficilement remonté jusqu'à l'entrée de cette vallée à travers le sable, j'ai commencer à longer dunes et falaises qui étaient effectivement impressionnantes. Mais les traces ont commencé à se disperser puis disparaître, jusqu'à ce que j'arrive à un endroit où les quelques traces de pneus (de 4x4) encore visible s'enfonçait dans une étendue sablonneuse impraticable à vélo, tandis qu'un oued s'enfonçait dans la montagne dans une direction correspondant à peu près à San Pedro. J'ai choisi l'oued. Encore une fois, mauvais choix.
Les dunes d'une vallée qui n'est finalement pas la Valle de la Muerte
Sable ou rochers ? Rocher, encore une fois. Bad choice.
Moralité : un oued, ça se descend, ça ne se remonte pas. Autant on est sûr qu'en descendant on va arriver dans la vallée, autant en remontant, on ne sait pas où l'oued débouche, d'ailleurs, a priori il ne débouche même pas. Je me suis donc retrouvé à court d'eau et de nourriture (j'avais pourtant pris large !), à remonter un oued pour finalement me retrouver au milieu d'un labyrinthe de petits vallons creusés par la pluie, dont aucun de débouchait sur autre chose qu'un mur rocheux. Je m'inquiétais déjà depuis un moment du retard pris sur l'horaire prévu et de l'absence de traces, mais quand je me suis retrouvé dans ce cul-de-sac, j'ai commencé à la sentir vraiment mauvaise. Ça peut sembler cocasse comme ça, mais dans le contexte, se dire "mon vieux, tu es tout seul dans le désert, et tu t'es perdu sans eau ni nourriture dans la Vallée de la Mort", ce n'est pas exactement joyeux.
Il est possible que suivre tant bien que mal les traces de 4x4 à travers les sables m'aurait mené quelque part, mais sans eau ni provisions il était hors de question de prendre encore le risque de se perdre et de passer quelques heures de plus d'effort en plein soleil.
J'ai donc décidé de rejoindre la seule voie de retour que je connaissais et que je pouvais retrouver sans difficulté : la route de Calama. J'ai rebroussé chemin pour descendre l'oued jusqu'à la sortie de la vallée, et j'ai rejoins la piste qui traverse le désert et que j'avais quittée pour tenter la traversée de cette pseudo-Valle de la Muerte. La distance n'étant pas mesurable, j'ai essayé de l'estimer via le diamètre angulaire apparent des voitures sur la route. Malgré l'imprécision de cette estimation (entre 2 et 8 km), Google Maps me donne aujourd'hui raison : à vue de nez, j'ai dû parcourir 4 ou 5 km pour rejoindre la route. À partir de là, je pensais que les efforts étaient presque finis. C'était sans compter que je m'était fortement déporté à l'ouest, et qu'il me restait donc plus de 10 km de route à faire, dans la joie et la bonne humeur, avec comme compagnie le soleil, la poussière, mon vélo grippé et les camions passant à 100 km/h. Au moins je savais que j'arriverais quelque part, et qu'en cas de problème je pouvais faire du stop.
J'ai enfin atteint San Pedro, avec deux heures et demie de retard sur l'horaire que j'avais prévu. La boutique de vélo étant fermée (et la bécane de toute façon louée à la journée), j'ai gardé le vélo jusqu'au soir. Après une douche indispensable et un repas copieux et copieusement arrosé (d'eau), pris sous les arbres de la place de l'église, j'ai dû me rendre à l'évidence : je n'avais aujourd'hui plus le temps ni l'énergie de remonter sur le vélo pour visiter comme prévu la Valle de la Luna. J'ai donc remis cette excursion au lendemain, et à la place, je suis allé faire le marché où je me suis acheté un nouvel ocarina (8 trous au lieu de 6) et de la coca. En feuille, en maté, en bonbons... Question cocaïne, on repassera, mais c'est 'âchement bon et il paraît que ça aide contre le mal d'altitude, parce que la coca a un effet vasodilatateur. Donc il n'y a pas que pour l'altitude que ça aide, héhéhé... [ insert lubricious devilish smile here ]
Après quoi, je suis allé visiter le musée Padre Le Paige. Le père Gustave Le Paige est un prêtre belge qui a été pendant de longues années curé de San Pedro. Du coup, le musée et la rue Gustavo Le Paige se prononcent "lepèje" en bon français, et non "lè païhe" comme on pourrait le croire. Le père Le Paige était féru d'histoire et d'archéologie, il a donc passé toutes ces années à parcourir la région et rassembler les pièces historiques datant de toutes les époques de l'occupation humaine en Atacama, depuis la préhistoire jusqu'à l'invasion espagnole, en passant par la période atacamène originelle et l'occupation inca. Toute cette collection personnelle est aujourd'hui regroupée dans le musée. Fut un temps, le clou de l'exposition était un groupe de momies indiennes, mais à la demande des peuples indiens, elles ont récemment été retirées.
Le musée présente aussi une exposition d'or indien, qui, bien que de taille modeste, est très belle.
Parmi des éléments les plus présents dans le musée, les accessoires pour la prise rituelle d'hallucinogènes.
Tubes à sniffer ornementaux, tablettes décorée pour préparer ses rails...
Ce n'était à l'époque pas de la cocaïne, mais les yeux du petit bonhomme témoignent que ça faisait effet aussi !
Le soir venu, il était temps de rendre le vélo. Également de profiter de la lumière du soir pour photographier encore l'église (on ne s'en lasse pas) et les volcans des Andes au crépuscule. Après cela, au lit, et tôt, car le lendemain, je devais décoller à 4h pour l'excursion suivante !
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